Mesdames, Messieurs, amis de la photo, bonjour.
Une fois n’est pas coutume, je vais vous narrer comment je me suis préparé à réaliser une séance photo de nu, fantasme ultime de tous les photographes qui se respectent… et des autres aussi !
Or, mon ambition première est de devenir un photographe accompli !
“Tu brûles les étapes”, me direz-vous ! “Commence d’abord par apprendre à faire une photo potable avant de te lancer dans des sujets scabreux !”
Et bien, je dirai : vous avez raison ! Aussi vais-je solliciter les conseils avisés de Marytouche, photographe de charmes dont c’est la spécialité !
J’ai rencontré Marytouche à la sortie d’une exposition photo de nu à Arles lors d’un festival. J’ai tout de suite senti avoir à faire à une connaisseuse. Mais j’étais peut-être loin d’imaginer l’étendue de ses compétences artistiques !
Après avoir sympathisé quelques minutes…
- Dis-moi, Madame Marytouche, par quoi commence-t-on ?
- Écoute bien, petit chenapan tout émoustillé ! Marytouche en a vu de bien belles et des pas jolies-jolies!
Déjà, il ne faut jamais partir gagnant ! Jamais ! Il faut faire profil bas, et ne pas manger la peau de l’ours avant de l’avoir photographiée ! Ensuite, tu ne dois surtout pas te laisser distraire par la beauté, la grâce ou le charme de ton modèle potentiel ! La beauté… mais c’est d’une banalité à débander un étalon gay dans un haras ! Alors, tu n’as pas d’autres choix que de cibler tes modèles parmi les personnes les moins attirantes !
- Les moches en quelque sorte…
- Si tu préfères !
- Oui, mais le but c’est quand même de faire une photo qui vaut le coup d’œil ! Une photo que les gens vont aimer grâce à la beauté du modèle !
- Ah ah ! C’est là que tu te trompes énormément, jeune freluquet à la queue qui frétille, tu te trompes !
Marytouche, elle sait de quoi elle parle ! Les gens en ont marre qu’on leur serve toujours les mêmes plats réchauffés au makeup ! Il faut surprendre, il faut prendre son pied, euh, son contre-pied ! La chair ferme, ça ne fait plus recette ! Il faut des doubles mentons, ou plus, il faut des grosses bidoches à bière, il faut de la varice en kilomètre, de la cicatrice en pagaille. Le ventre plat, c’est d’une banalité à tout épreuve. Alors qu’un bon dénivelé ça plaît à tout le monde, même aux cyclistes ! Une peau de pêche, c’est pour les magazines ! Ce que veulent les visiteurs, ton public, des gens intelligents, c’est de l’authenticité ! On veut de la crevasse, du bide, de la vergeture, des plis, on veut du rouge, du violet et du marron, pas du rose et des paillettes, on veut de l’âge avancé, du vécu en un mot !
- Mais quel intérêt ?
- Tout simplement pour l’Histoire, avec un grand I ! C’est dans les poches, les coins, les rides qu’on lit à livre ouvert ! C’est sous les poils et les plis qu’on découvre la vraie nature !
- Bon très bien. Et donc, ces beautés ignorées, où est-ce qu’on les trouve ?
- Mais partout, mon jeune chimpanzé à la peau luisante et au regard lubrique, mais partout !
- Et plus précisément ?
- Alors, c’est bien simple, chaque fois que tu rencontres quelqu’un dans la rue, à un concert, au bar, au marché, pose-toi cette question : est-ce que cette personne est belle ? Si elle t’attire, alors ce n’est pas la bonne !
- Donc si elle ne m’attire pas, alors je peux lui proposer un shooting ?
- Oui, mais n’allons pas si vite en besogne, mon cher fripon aguiché. Pas si vite. C’est comme les préliminaires, il faut prendre son temps ou le faire faire par quelqu’un d’autre.
- Bon d’accord, mais si je tarde trop, elle sera déjà partie que je n’aurais encore rien fait !
- Oui, mais si tu lui cours après, elle va avoir peur et tu auras tout perdu ! Non, ton modèle, tu dois donc l’aborder immédiatement avec un sujet détourné, un thème qui n’a rien à voir, l’air de rien mais original. Par exemple : “Tiens il fait beau aujourd’hui ! Et vous, vous trouvez qu’il fait beau ?”
- Avec une telle approche, aucune chance de recruter quelqu’un pour mon shooting !
- Bien sûr mon petit canard vibrant d’émotions ! Bien sûr ! Bien sûr ! Mais je t’avais prévenu de ne pas partir gagnant. Au moins, maintenant, tu n’es pas déçu !
- Oui, mais ça ne m’avance pas beaucoup !
- Je compatis totalement ! Mais, dis-moi ! Tes intentions sont-elles pures et dénuées de toutes ambitions voyeuristes ?
- Mais voyons Marytouche ! Comment peux-tu en douter ?
- J’ai mes raisons. Alors dis-moi pourquoi tu veux faire une séance de nu ?
- Mais tout simplement pour devenir un photographe, un vrai !
- Ouvre les yeux, mon chaton ! Ouvre tes yeux ! Que vois-tu ?
- Rien !
- Mais si ! Regarde bien !
- ?
- Eh ben voilà ! Et moi donc ! Qu’est-ce que tu attends pour me demander de poser, espèce de chameau à deux bosses ?
- Ah ! b… b… bien ! Je n’y avais pas pensé…
- Alors ?
- …
- Alors ?
- Tiens ! Il fait beau aujourd’hui ! Et vous, vous trouvez qu’il fait beau ou…
La déception se lisait sur les traits de Marytouche comme la gourmandise sur le visage d’une nonne.
- Marytouche ?
- Oui, vilain petit canard !
- Marytouche, lorsque tu t’es présentée, tu te disais spécialiste de la photographie de charme !
- Oui !
- Mais en quoi cela consiste-t-il réellement ? Comment tu t’y prends ?
- D’abord, je prends mon appareil photo…
- Jusque là, ça va !
- Ensuite, je vais dans la forêt…
- Ah !
- Sais-tu seulement reconnaître le charme d’un être ?
- Non ! Et je ne vois pas le rapport avec la photo !
- Retiens juste ceci : “Le charme d’Adam, c’est d’être à poil”. Tu mémoriseras ainsi facilement que la feuille de charme est toute dentelée, tandis que la feuille du hêtre est poilue au revers de la feuille.
- Ote-moi d’un doute Marytouche ! Tu ne photographies quand-même pas des arbres !
- Et pourquoi pas ?
- Je suis pas mal déçu !
- Attends donc, morveux des deux narines ! Ce que je veux t’expliquer, c’est que l’un des charmes de l’Être c’est d’avoir des poils ! Et comme les arbres, certains conservent leur feuillage toute l’année tandis que les autres le perdent régulièrement.